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Le RDV des supporters

Le footballeur, instrument du capitalisme ?

19 Août 2014 , Rédigé par Julien Hervieu

Les maillots des sélections nationales ont bien été les seuls à nous préserver de publicité durant la coupe du monde 2014. Les sponsors officiels de la FIFA ont profité de l’événement pour afficher devant des millions de téléspectateurs leurs marques. Si ces marques misent sur le football, c’est parce qu’elles peuvent compter sur des VRP de luxe grâce à l’image des footballeurs. Ceux-ci sont souvent moqués pour leurs facultés à devenir des hommes-sandwichs à l’appel d’un contrat juteux. On peut se souvenir alors de la parodie du footballeur joué par Stomy Bugsy dans Trois Zéro d’Onteniente, ou simplement scruter les photos du compte Twitter de Clément Grenier, qui affiche toujours ses trois bandes sur les photos, pour avoir cette image. Cette vision du footballeur nous renvoie à un schéma où celui-ci est vu comme un vendu. Un modèle capitaliste où le joueur le plus bosseur, souvent issu de milieux modestes est théoriquement le meilleur. En effet, les « valeurs » du sport sont celles du dépassement de soi, afin d’être le meilleur dans un domaine. Ce domaine, qu’est le football, étant ultra-médiatisé et le footballeur écouté nous pouvons nous demander si le joueur de football est un porte-étendard du capitalisme ?

Self-made men et dépassement de soi

La carrière du footballeur constitue un but progressiste dont l’aboutissement devrait être les titres collectifs, ou un certain perfectionnement physique et technique du joueur. Or, on attribue le plus souvent la réussite d’un footballeur aux clubs prestigieux qu’il a pu fréquenter ou encore sa réussite matérielle et financière. Cette réussite est, le plus souvent, mise en parallèle d’une enfance difficile, soulignant celle-ci par les efforts et sacrifices du joueur. D’après une enquête de Julien Bertrand, on voit qu’entre 50 et 60% des footballeurs issus des centres de formation sont des fils d’ouvriers et d’employés(« la fabrique des footballeurs: la fabrique des ‘mauvais garçons’ ? », revue mouvements été 2014). Ainsi la plus grande proportion d’entre-eux sont issus de milieux socialement dévalorisés. Et nombre d’entre-eux cumulent, rien qu’en étant né en banlieue et en ayant des origines étrangères, des désavantages sociaux face à l’emploi. Le sport apparait alors comme un échappatoire à l’emploi précaire ou encore au chômage. Le football devient ainsi un moyen de mobilité sociale ascendante et le chemin parcouru devient alors une fierté pour le footballeur qui soulignera les efforts pour atteindre un certain niveau. On se retrouve alors dans une situation de contraste, pour le footballeur issu des catégories sociales défavorisé, avec un milieu d’origine dans lequel le travail pourrait être vécu comme une souffrance, avec des conditions de travail difficiles et une situation de richesse avec un travail bonifié et instrumentalisé afin d’atteindre une certain perfection. Il en va surtout d’une différence sur le plan politique, le joueur vantant ces valeurs aurait pu avoir une idéologie se rapprochant du communisme s’il n’avait pas été couronné de succès par le sport. Quoi ? Anelka, l’homme aux multiples contrats de publicité, contre le système ? C’est un peu ça oui.

Assimilation culturelle et habitus du footballeur

Le nouveau prêcheur d’une idéologie du goût de l’effort et du travail n’a pas incorporé ces idéaux tout seul. Il les a assimilés depuis sa tendre enfance et ses premières classes sur un terrain de football. En effet, le rôle de l’éducateur sportif est ici prépondérant. C’est lui, et les nombreux entraineurs que le joueur aura au cours de sa « carrière », qui lui inculqueront ces valeurs et ce goût du travail accompli. On se retrouve ainsi avec une logique simple, et centrale en sociologie, qui est celle de l’assimilation. Le joueur va incorporer les valeurs et mentalités du groupe. Elles peuvent être différentes de son groupe d’appartenance d’origine, mais si le footballeur a réussi grâce au goût de l’effort, il partagera cette mentalité autour de lui et pourra afficher, avec sa réussite matérielle, les résultats d’un tel travail.

Peut-on alors parler d’habitus du footballeur (au sens Bourdieusien) ?

L’habitus est le fruit de la socialisation de l’individu. Si l’incorporation de valeurs, de capital social, de capital culturel et toutes les composantes qui constituent la personnalité des individus, sont les mêmes au cours du processus de socialisation, les footballeurs peuvent ainsi avoir de nombreuses similitudes dans leurs comportements, goûts et leurs styles de vie qui vont former un habitus de classe. Le statut de footballeur n’est une classe en soi, mais si le footballeur est parodié (comme un idiot, racaille dont on envie la richesse la plupart du temps) c’est que des similitudes comportementales existent. Le sociologue Michel Kokoreff parle d’un milieu codifié avec un désir de frustration qui donne envie de s’en sortir, qu’importe les moyens. L’habitus forge le comportement et les valeurs. Tous ces éléments nous permettent de comprendre comment le footballeur a assimilé des valeurs qui peuvent être éloignées de ses idéaux de base.

Génération « Scarface » ?

Daniel Riolo, dans « Racailles football club », nous parle d’une génération de footballeurs qui auraient développés une fascination pour le parcours de Tony Montana (qui pourtant finit criblé de balles). Cette fascination est accompagnée de phrases comme « ce qui ne te tue pas rend plus fort » qui vont dans le sens du self made-men qui dans l’effort et le travail va trouver la satisfaction au bout. On trouverait presque une éthique protestante la-dessous. Le film « Scarface » est un symbole dans les banlieues françaises, où l’ascension du truand pourrait être comparée à celle d’un entrepreneur capitaliste classique. Si l’on va dans ce sens « Le loup de Wolf-Street » c’est « Scarface » sans les balles et d’après certaines vidéos de la dernière Coupe du Monde, il semblerait que ce film ait aussi plu. Les codes dans Scarface sont les mêmes que celui du footballeur, une situation de réussite malgré une solitude presque anomique dans les codes du footballeur. En effet, ceux-ci sont dans une situation particulière, partageant des codes de banlieue mais avec des salaires de millionnaires pour les plus talentueux d’entre-eux.

Le footballeur, instrument du capitalisme ?
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R
C'est assez rare quand je lis un si long article, mais je dois avoué que celui-ci m'a donné envie. Je partage beaucoup d'informations sur ce sujet. Bon article ;)
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A
Ça nous fait grandement plaisir Rémi. Ravi que l'article vous est plus !